J'ai tout perdu. Ce fut une chaîne sans fin, dont chaque maillon se brisait un à un. Mon boulot, ma femme, mes enfants, ma maison, ma vie... Tout est parti. Je n'ai rien vu venir. J'ai seulement gardé mon vieux chien, le seul qui ait réussi à rester avec un perdant.

J'ai alors commencé à zoner dans les foyers d'accueil, puis j'ai fait la manche pour nourrir mon chien et moi. Les passants me regardaient avec mépris, ou ne prenaient même pas la peine de me regarder. A quoi bon ? Je ne suis qu'un fainéant qui s'est tourné vers la solution de facilité.

J'ai tenté d'appeler certains amis, mais après qu'ils m'aient gentiment proposé leur aide, je n'ai jamais réussi à les joindre de nouveau. Héberger un SDF ?! J'aurais sûrement fini par leur voler leur carnet de chèques.

J'entendais beaucoup de réflexions lorsque je faisais la manche. « Prendre un chien pour apitoyer les gens, je trouve ça dégueulasse ! », « Lui donner des sous pour qu'il aille s'acheter une chopine ? Hors de question ! »...

Certaines personnes passaient et me donnaient dix ou vingt centimes, même parfois un euro. Je les remerciais, de tout cœur. Ce qui comptait pour moi était de pouvoir manger et nourrir mon fidèle compagnon. Mais je supportais de moins en moins cette situation. « Quand on veut, on en trouve du boulot ! » disaient certains. Oui, c'est pour cela qu'il y a de plus en de plus de chômeurs et d'SDF. J'étais meurtri au plus profond de moi-même. Ce qui restait de ma vie n'était qu'humiliation, déshonneur, et misère. J'ai voulu oublier ma vie et qui j'étais. Et cette foutue chopine je l'ai achetée ! D'abord, elle m'a réchauffé, puis elle m'a fait oublier cette vie merdique. J'ai oublié la voix de ma femme qui quand elle raisonnait dans ma tête me faisait horriblement souffrir, j'ai oublié le rire de mes enfants qui me rappelait à quel point ils me manquaient, j'ai pansé mes plaies en les oubliant. Et oui, j'étais complètement bourré sur la voie publique ! Et oui, vous me donniez de l'argent pour que je puisse ignorer votre mépris, vos Mercedes et vos boulots de merde !

J'étais pour la société un déchet.

Le froid s'est intensifié courant décembre, et je buvais davantage pour avoir chaud et pour m'endormir le plus vite possible afin de ne plus subir ce froid glacial. Chaque nuit, chaque jour, c'était la même chose. Puis, un soir, assis par terre, entouré de grands restaurants devant lesquels je faisais tache, j'ai bu en espérant m'endormir et ne plus jamais me réveiller. Je souhaitais simplement qu'un môme trouve mon chien pour le rendre heureux.

Je me suis alors endormi, et le froid m'a emporté.